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L’éducation actuarielle au XXIe siècle

L’éducation des candidats et candidates en actuariat de niveau universitaire a connu plusieurs changements au fil du temps, car les chargé(e)s de cours réagissent au développement des connaissances actuarielles, aux compétences nécessaires et aux attentes envers le corps étudiant et les futurs employeurs. Dans cet épisode, Bruno Gagnon, FICA, fait un retour sur certains des défis auxquels il a été confronté en tant que chargé de cours de longue date en actuariat au niveau universitaire.

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Animatrice : Bonjour et bienvenue à Voir au-delà du risque, le balado de l’Institut canadien des actuaires.

Le Canada a la chance d’avoir un solide réseau d’universités qui offrent des programmes en sciences actuarielles. Cependant, l’éducation des futurs actuaires peut être difficile, en raison de l’avancement des connaissances actuarielles, ainsi que de l’évolution des attentes pour les étudiants et étudiantes.

Bruno Gagnon, membre de l’ICA, enseigne les cours en actuariat de niveau postsecondaire depuis plusieurs années. Il se joint à nous pour discuter de la façon dont il aborde ces défis.

Merci beaucoup, Bruno, de vous joindre à nous dans le cadre d’un balado.

Gagnon : Ça me fait extrêmement plaisir. Merci beaucoup de m’avoir invité.

Animatrice : Alors pour commencer, dites-nous quelle a été votre participation dans l’enseignement de l’actuariat pendant votre carrière.

Gagnon : J’ai commencé à m’intéresser à l’enseignement de l’extérieur dès que je suis devenu Fellow en 1986, parce que j’avais enfin le temps de penser à autre chose, que devoir étudier comme un malade et j’étais convaincu qu’il y avait quelque chose qui fonctionnait vraiment très mal dans le système de formation des actuaires, parce que j’étais un des meilleurs étudiants dans ma classe, humblement, et pourtant, ça m’a quand même pris sept ans après mon baccalauréat pour devenir Fellow.

Et j’ai échoué mon dernier examen deux fois avant de passer vraiment de justesse. Et pendant ces deux années – parce qu’à l’époque, les examens se donnaient une fois par année – je me suis mis à douter de moi et douter d’une façon très dévastatrice, parce que je me suis mis à penser que peut-être que je n’étais pas capable de terminer rien de ce que j’ai entreprenais.

Et même après avoir passé les neuf premiers examens sur dix, et puis après avoir mis autant de temps à préparer mes examens, que peut-être que je ne passerais jamais le dernier, et que je demeurerais associé comme je l’étais un an après être sorti de l’université.

La première chose que j’ai fait après avoir obtenu mon Fellowship avec la SOA, j’ai effectué une application pour devenir membre d’un comité d’examen, puis essayer de comprendre pourquoi ça avait été si bien avec des scores incroyables dans mes premiers examens et si mal dans mes derniers examens.

Alors j’ai été rédacteur et correcteur de questions pendant quatre ans. Ensuite, j’ai été vice-président d’un comité chargé d’un examen pendant trois ans, et président d’un comité chargé de tous les examens d’un même domaine pendant quatre ans.

Et j’ai compris que, alors que la SOA essayait de poser des questions d’analyse et de synthèse – donc des questions qui demandaient beaucoup plus de réflexion que de la mémoire – de leur côté, les candidats et candidates avaient tendance à apprendre tout ce qu’ils ou elles pouvaient par cœur et à répondre en donnant des listes.

Un des problèmes avec une liste, c’est que le nombre de points dépendra de l’interprétation effectuée par le ou la correcteur(trice). Cette interprétation peut varier considérablement d’un ou d’une correcteur(trice) à l’autre. Par exemple – et c’est un exemple complètement en dehors de l’extérieur – si je demandais à quelqu’un comment faire du vin rouge, on s’attend que la première chose que le candidat ou la candidate va répondre est : « il faut faire pousser des raisins rouges ».

Si le candidat ou la candidate, au lieu de dire « tu dois te procurer des raisins rouges » mentionne « voici la liste des raisins rouges utilisés pour faire du vin », est-ce qu’on donne des points parce que le candidat ou la candidate a mentionné des raisins rouges, ou est-ce qu’on n’en donne pas parce qu’il ou elle n’a pas mentionné le principe de base que « tu dois te procurer les raisins »?

Maintenant, si le candidat ou la candidate avait simplement répondu : « Voici la liste des raisins utilisés pour faire du vin. Cette liste inclut à la fois des raisins blancs et des raisins rouges ». Quel genre de points donnerait-on là-dessus? Ce n’est pas évident. Alors j’ai constaté que des étudiants et étudiantes qui répondaient en fournissant de très longues listes, par hasard, pouvaient avoir dans leur liste certains mots-clés, et ces mots-clés pouvaient leur donner des points.

Alors, même s’il ne répondait pas à la question, ça pouvait arriver – tout dépendamment du correcteur – que le candidat ou la candidate obtienne plus de points qu’un candidat ou une candidate qui répondait à la question sans utiliser de liste, mais seulement de façon partielle. Alors c’est sûr que j’ai essayé de changer ça.

Puis à la fin de 1999, comme j’avais effectué mon mandat de président pour un groupe d’examen de la SOA, j’ai été abordé par l’Institut pour développer le Cours orienté vers la pratique (COP) dans le domaine de l’assurance collective.

Pour la première fois de ma carrière, j’avais l’occasion d’influencer le syllabus d’un examen. Et j’ai pris comme position que ça contiendrait toutes les choses que j’avais apprises dans le cours de mes 20 ans de carrière et qui n’était nulle part dans les examens de la SOA à l’époque. Je me suis dit, on va faire du matériel pour le COP et en faire un coffre d’outils pour les jeunes actuaires, un coffre d’outils qui va leur permettre d’apprendre en un mois ou trois jours, tout ce que moi j’ai appris en 20 ans qui n’était pas dans les examens; ce qu’on pourrait appeler « les trucs du métier ».

Et la question sous-jacente était « qu’est-ce que les actuaires ont besoin de savoir pour faire leur travail de la façon la plus efficace possible? » Alors je me suis dit, on va enseigner les choses qui ne sont pas nécessairement dans des livres, et qui font la différence entre un actuaire qui sait de quoi il parle et puis quelqu’un qui n’est pas capable de rien faire d’autre que le travail très routinier.

En même temps (ou à peu près), j’ai été recruté par une professeure d’université pour faire une conférence sur les programmes sociaux dans son cours d’introduction à la science actuarielle. La personne qui donnait cette conférence avant moi avait fait un très bon travail d’élaborer les descriptions des programmes, mais cette personne n’avait rien dit sur les problèmes et les défis auxquels ces programmes étaient confrontés. Maintenant, quand on y pense, si on donne un tas de détails factuels aux étudiants et étudiantes, il y a un risque qu’on les tanne à mort.

D’autre part, si on peut leur faire comprendre des défis sociaux importants qui les concernent et qu’on les fait réfléchir comme sur le fait qu’ils ou elles vont être trois travailleurs(es) qui vont payer pour deux retraités titulaires de la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV) alors que le programme de Sécurité de la vieillesse, quand il a été mis sur pied, c’était convenu qu’il y aurait eu cinq travailleurs qui paierait pour un retraité?

Vous pouvez imaginer que trois qui payent pour deux, ça coûte beaucoup plus cher que cinq qui payent pour un. Alors en faisant ça, ils vont comprendre comment le programme social a un impact sur eux directement.

Même si dans le cas de la Sécurité de la vieillesse, on s’adresse à des gens qui ont 22 ans et qui ne vont pas toucher la Sécurité de la vieillesse avant au moins 65 ans. En revanche, ils vont payer des impôts comme contribuables avant de retirer tout ça, et ils vont devoir prendre des décisions en votant sur des propositions de politiques publiques aux différentes élections auxquelles ils vont avoir l’occasion de voter pendant leur carrière.

Donc, ceux qui sont en cours vont être beaucoup plus intéressés que tannés, s’ils ou elles comprennent que ce dont on parle les concerne directement. Puis, après quelques années, la professeure m’a demandé de donner la moitié du cours. Après encore quelques années, elle m’a demandé de donner tout le cours. Les étudiants et étudiantes se sont trouvés(es) relativement heureux(ses), car ils et elles ont aimé ma façon d’enseigner. Et c’est à ce moment que l’université m’a demandé de développer et d’enseigner deux autres cours.

Dans tous ces cours, j’ai toujours essayé de sensibiliser les étudiants et étudiantes aux impacts de ce que j’enseignais sur la vie des gens en général et sur leur situation à eux, en tant qu’étudiants ou étudiantes et futurs(es) contribuables et futurs(es) professionnels(elles). J’ai trouvé ça vraiment intéressant.

Animatrice : Et quelles différences avez-vous observées chez les étudiants et étudiantes en actuariat au cours des 20 dernières années du point de vue de l’intérêt envers la carrière, des attentes, etc.?

Gagnon : Je dirais que la première chose à mentionner ici, c’est que présentement, il y a beaucoup plus d’emplois disponibles aux finissants et finissantes, et moins de finissants ou finissantes pour ces emplois que ce qui était le cas il y a 20 ans.

Il y a 20 ans, les étudiants et étudiantes se concentraient sur leur nombre d’examens d’actuariat. Ceux et celles qui étaient capables de terminer leur baccalauréat avec au moins trois examens avaient une chance raisonnable d’avoir un emploi en actuariat. Les autres, ce n’était vraiment pas évident. Il n’y avait aucune garantie qu’ils finiraient par obtenir un jour un emploi qui serait de nature actuarielle. Il y a 20 ans, les étudiants et étudiantes de première année n’étaient pas du tout au courant de la situation du marché de l’emploi.

Et puis plusieurs avaient des attentes totalement irréalistes. Il y en avait qui avaient choisi de faire un baccalauréat en actuariat dans l’espoir d’avoir un emploi très bien payé. Et je me rappelle avoir rencontré un de mes anciens étudiants qui avait de bonnes notes. J’avais rencontré cet ancien étudiant deux ans après qu’il ait terminé ses cours en actuariat, sur son lieu de travail. Il plaçait des bouteilles sur des étagères dans un magasin de la SAQ.

Et je me rappelle aussi avoir discuté avec des jeunes étudiants et étudiantes d’origine étrangère qui avaient vu dans une publication gouvernementale quelconque – à l’intention des immigrants – qu’il y avait une pénurie d’actuaires au Canada. J’étais absolument consterné parce que juste quelques années avant, mon employeur (lorsque j’étais actuaire-conseil) avait engagé une ASA à titre de technicienne en actuariat, parce qu’on n’avait pas le budget pour embaucher un étudiant ou une étudiante en actuariat, alors qu’un étudiant à l’époque aurait gagné peut-être facilement 40 000 à 45 000 $. Mais cette personne était payée 27 000 $ par année. Puis elle était bien contente d’avoir un emploi en actuariat.

Maintenant, les étudiants et étudiantes sont beaucoup plus informés. Dans mon cours d’introduction à l’actuariat, je leur donne des statistiques à propos de la rémunération en sortant de l’université, et je leur donne une liste d’employeurs locaux.

Ils savent de toute façon qu’ils vont devoir travailler très dur pour devenir des actuaires, mais au moins, ils ne travailleront pas dur seulement pour le plaisir de travailler durement. Ils vont travailler dur pour avoir un résultat et avoir un emploi intéressant. Et ils sont beaucoup plus intéressés à découvrir la science actuarielle que simplement se concentrer à réussir leurs cours d’université et les examens de sociétés d’actuaires.

Je pense qu’ils sont beaucoup plus engagés envers l’idée de devenir un actuaire, probablement parce qu’ils comprennent, entre autres, que les gens de ma génération, les baby-boomers, prennent leur retraite. Ça crée des emplois et une aspiration vers le haut. Parce que nous, en quittant, sommes remplacés par des gens qui sont dans la profession depuis peut-être 10, 15 ou 20 ans. Et ces personnes, en prenant nos responsabilités, ouvrent la porte à beaucoup de responsabilités de travail intéressantes pour les jeunes.

Lorsqu’ils commenceront à travailler à l’extérieur, ça leur donnera l’occasion de faire du travail intéressant, d’analyser des problèmes ou des situations plutôt que simplement faire des calculs actuariels routiniers.

À mon époque il y a au-dessus de 40 ans, lorsqu’on commençait à travailler après notre baccalauréat en actuariat, ils nous faisaient faire du travail de commis. Ce n’est pas très valorisant. Maintenant, les jeunes ont tout de suite un travail qui est beaucoup plus intéressant et évidemment, on leur en fait part à l’université et ça les motive drôlement.

Malheureusement, il y a encore des étudiants et étudiantes qui s’en vont à l’extérieur parce qu’ils pensent qu’ils vont faire énormément d’argent. Il y a peut-être quelques années, il y a un étudiant qui m’avait demandé ce qu’il devrait faire pour atteindre un salaire de 300 000 $ par année, trois ans après son baccalauréat. Mais le problème est que pour avoir ce genre de salaire, on doit devenir soit vice-président(e) au sein d’une société d’assurance ou associé(ée) dans une firme de consultation.

Ça n’empêche pas qu’il y a un de mes amis qui était dans ma classe à l’université qui a terminé sa carrière avec un revenu nettement au-dessus d’un million de dollars par année, mais pas comme actuaire. Il était président d’une société d’assurance.

Donc, notre revenu comme actuaire dépend beaucoup plus de notre personnalité, de notre degré de responsabilité, de nos compétences interpersonnelles, que simplement de notre diplôme universitaire ou de notre Fellowship. Si on travaille dans une firme de consultation, le revenu va aussi beaucoup dépendre de la capacité de la personne à développer la clientèle; donc, ses capacités de vente plus que ses capacités techniques.

Une autre différence entre aujourd’hui et il y a 20 ans est le fait qu’il y a 20 ans, les étudiants et étudiantes voyaient les sociétés éducatives américaines comme la CAS et la SOA comme leur plus important partenaire pour devenir un actuaire, car c’était les premières sociétés auxquels ils étaient exposés en entrant à l’université. Tout le monde à l’époque considérait que les résultats aux examens de la CAS et la SOA étaient beaucoup plus importants que la moyenne cumulative à l’université.

Mais maintenant, à cause du Programme d’agrément universitaire, tout a changé. Les étudiants et étudiantes perçoivent l’Institut canadien des actuaires comme étant leur partenaire principal pour devenir actuaires. C’est une énorme différence.

De plus, il y a 20 ans, les étudiants et étudiantes ne se préoccupaient pas trop où ils ou elles travailleront éventuellement. Parce que si on devient Fellow de la SOA ou Fellow de la CAS, on devient automatiquement (ou presque) Fellow de l’Institut. Puis le fait que l’on soit affilié à une société éducative américaine, ça nous permet de travailler aux États-Unis, donc on n’a pas à se casser la tête.

Aujourd’hui, les choses sont différentes. Il y a deux types d’étudiants et étudiantes : ceux et celles qui veulent vraiment devenir membres de l’Institut canadien des actuaires sachant qu’en devenant membres Fellow de l’Institut, ils vont pouvoir travailler dans d’autres pays par le biais des ententes de réciprocité que l’Institut canadien des actuaires a avec des organisations actuarielles importantes dans tous les pays de langue anglaise; en particulier aux États-Unis avec l’académie américaine des actuaires.

Puis notre 2e clientèle est constituée d’étudiants et étudiantes qui ont l’intention de faire leur carrière aux États-Unis, mais ils ont choisi d’étudier au Canada parce que les frais de scolarité sont énormément plus bas au Canada qu’aux États-Unis. Alors ces étudiants et étudiantes vont vraiment se concentrer sur les examens d’actuariat des sociétés éducatives américaines, comme la SOA et la CAS.

Alors, nous avons maintenant ce phénomène de deux clientèles différentes, et avons ce phénomène bien plus dans les universités anglophones que les universités francophones.

Animatrice : Vers quelles compétences sont davantage orientés les candidats et candidates au titre d’actuaire et quelle incidence cela a-t-il sur leurs perspectives de carrière?

Gagnon : Mais je dirais qu’en plus des mathématiques actuarielles et financières, ils sont beaucoup plus concentrés sur les compétences qu’ils peuvent acquérir en mathématiques avancées, en statistiques avancées, en analyse et dans le domaine des données.

Donc, je constate avec mes étudiants et étudiantes de troisième années(surtout) qu’ils et elles peuvent faire des analyses assez époustouflantes à l’aide du langage R. C’est fantastique s’ils ou elles vont travailler en assurances IARD parce que beaucoup de modélisation se fait dans ce domaine.

Dans le domaine de l’assurance-vie et des régimes de retraite, ce n’est pas aussi clair. Éventuellement, ils vont devoir modéliser des réserves stochastiques. C’est un défi assez intéressant parce que le défi dans le calcul des réserves sur une base stochastique est « dans quelle mesure vos calculs sont-ils efficaces? » et quand je dis « efficace », je veux dire que si on calcule une réserve stochastique sur un bloc d’affaires, on doit faire un paquet d’hypothèses et des tas de calculs, ce qui peut prendre une quantité assez incroyable de temps UCT à un ordinateur et de temps de traitement.

Et c’est un peu la raison pour laquelle les assureurs sont beaucoup opposés aux calculs des réserves sur base stochastique, et c’est aussi la raison pour laquelle on n’a pas vu beaucoup de réserves calculées sur base stochastique.

Les autorités de réglementation poussent très fort pour que l’on fasse des calculs sur base stochastique, et quelque part dans l’avenir, on n’aura pas le choix de faire ça. Surtout que les calculs de réserves sur base stochastique sont peut-être la seule façon d’avoir une idée de la variabilité des résultats de notre calcul de réserve.

Si je calcule une réserve simplement en utilisant des taux de mortalité moyens des taux d’intérêt moyens, des taux de déchéance moyens et des sortes de choses moyennes, je vais avoir un résultat moyen. Mais ce résultat ne me dira pas dans quelle mesure ma réserve est suffisante. Est-ce suffisant dans 60 % des cas ou dans 80 % des cas? Car ce que l’on fait présentement, on ajoute des marges et des provisions pour fluctuation défavorable dans nos calculs.

Ça va nous donner une réserve plus sécuritaire, mais ça ne nous dira pas si la réserver avec les provisions pour fluctuation défavorable est maintenant sécuritaire d’encadrement pour 80 % des cas. Ça ne nous dira pas tout ça. La seule façon de le savoir est avec une approche stochastique qui va vraiment nous donner une réserve moyenne et une dispersion autour de celle-ci. Et c’est seulement le processus stochastique qui peut faire cela.

Les vieux actuaires, un peu comme moi, ne sont pas aussi bons en termes de science des données que ceux et celles qui sortent de l’université. Et tout ce qu’on appelle aussi, la technologie de l’information, les jeunes seront beaucoup mieux outillés que les gens de ma génération. Ils seront mieux outillés pour justement pouvoir évaluer le degré de suffisance d’une réserve actuarielle, et encore plus lorsque l’on combine les réserves actuarielles de plusieurs produits différents d’un même assureur.

De ce côté, je dois dire que les universités effectuent un travail fantastique d’enseigner aux étudiants et étudiantes à penser à propos de processus aléatoires et de variabilité des résultats. C’est quelque chose d’essentiel en actuariat. Si vous pensez aux expressions anglophones, le « data mining » et le « big data » sont des concepts que l’on voit apparaître de plus en plus. Ces concepts vont nécessiter énormément d’analyse.

Puis la question fondamentale est : qui effectuera l’analyse de ces concepts? Ça peut être des spécialistes en données, des actuaires ou une équipe composée d’actuaires et de spécialistes en données. Mais dans tous les cas, les actuaires vont devoir comprendre l’analyse qui a été faite et préférablement y participer pour au moins se faire une idée de la variabilité des résultats, la variabilité de l’interprétation des résultats, et l’interprétation de cette variabilité aussi dans ces résultats.

Autre chose, il peut y avoir des biais qui apparaissent dans une analyse, totalement par inadvertance, et les biais dans les trucs actuariels, ce sont les actuaires qui seront les mieux placés pour identifier ces billets et les résoudre. Pour se faire, on va devoir prendre des actuaires qui ont de très grandes compétences en matière de données et d’analyse prédictive.

D’autres compétences extrêmement importantes pour les actuaires sont les compétences liées à la finance et aux placements. Dans n’importe quel calcul actuariel, nous avons un taux d’intérêt ou une forme de rendement. Nous pouvons également avoir un taux d’inflation. Et c’est de plus en plus difficile pour les actuaires de se fier entièrement sur des hypothèses économiques qui ont été développées par quelqu’un d’autre, car nous sommes responsables des hypothèses choisies et des hypothèses utilisées.

Et si on utilise une hypothèse qui a été développée par quelqu’un d’autre, nous devons être en mesure de comprendre l’hypothèse, puis de faire notre propre jugement sur cette hypothèse avant de décider si on l’utilise telle quelle ou si on la modifie.

Et les cours de finance sont de plus en plus importants dans les programmes actuariels, et je crois (et espère) que les plus jeunes actuaires vont avoir des compétences techniques beaucoup plus fortes dans ce domaine que ce qui en était il y a 25 ans.

Animatrice : Alors selon vous, de quels avantages profitent les étudiants et étudiantes qui suivent un programme d’actuariat par rapport à ceux et celles qui fonctionnent strictement en mode d’autoapprentissage?

Gagnon : Enfin une question facile. À mon avis, il y a un énorme avantage à être dans un programme d’actuariat plutôt qu’étudier par soi-même.

Premièrement, on bénéficie des explications d’un membre du corps enseignant. Si on veut apprendre quelque chose, on doit le comprendre. Si on est tout seul avec un livre, on n’obtiendra pas nécessairement l’explication dont on aurait besoin, mais que l’auteur du livre (qui est spécialiste) est considéré comme étant trivial de l’inclure dans le livre.

Pour vous donner un exemple là-dessus – quand j’étudiais l’examen d’actuariat qui portait sur la finance et les placements, il y avait quelque chose dans le livre qui s’écrivait « IOU ». Je n’avais aucune idée de ce que le « U » pouvait être.

Et à l’époque, évidemment, on n’avait pas Internet. Alors, trouver ce que voulait dire le « U », impossible. Finalement, il était question d’un « IUO », un genre de billet à ordre. J’ai appris ceci 5 à 10 ans après avoir passé mon examen. Donc, apprendre quelque chose sans avoir le contexte ou l’environnement, on va en manquer une partie importante, et on peut se rabattre sur apprendre les choses par cœur. Ce n’est pas nécessairement l’approche la plus utile quand on doit ensuite appliquer les connaissances à une situation, surtout si la situation n’était pas montrée dans le livre.

Deuxièmement, on bénéficie des questions posées par les autres personnes dans la classe. Souvent, on lit le matériel. On pense qu’on a tout compris, surtout qu’on a eu les explications de l’enseignant ou enseignante, et tout à coup, il y a quelqu’un dans la classe qui pose une question à laquelle on n’aurait jamais pensé. Puis il se trouve que cette question est pertinente, c’est juste qu’on n’y a pas pensé. C’est seulement en classe qu’on peut bénéficier de ce genre de situation.

Troisièmement, c’est beaucoup plus stimulant. Si on essaie de garder le rythme avec les autres étudiants et étudiantes, c’est plus facile en classe. On peut discuter aussi des problèmes avec eux.

Si on étudie seul(e), on peut trouver le matériel plate à mort. Et c’est à ce moment que l’on va se mettre à lire le matériel trop lentement ou trop vite, ce qui fait que l’on ne sera pas capable de nécessairement établir les relations entre ce qu’on vient juste de de lire puis ce qu’on a lu peut-être 10 pages avant, ou un ou deux chapitre(s) avant.

Pire que ça, on peut finir de lire un chapitre, puis on ne se rappelle même pas exactement ce que l’on a étudié. Ça paraît bizarre, mais oui, ça peut arriver. Pire, on peut lire notre matériel et penser à quelque chose d’autre. C’est difficile de rester concentré quand on est tout seul dans un cubicule en train d’étudier. Quand j’étudiais pour mes examens, je faisais comme tout le monde à l’époque; je calculais mon nombre d’heures d’étude.

Dans le temps, on disait que pour un examen de 5 heures, il fallait étudier 500 heures. Alors moi j’essayais d’étudier 650 heures pour être certain de passer. Je ne pensais pas nécessairement plus. Pourquoi? Parce que parfois je me trouvais à faire des heures pour faire des heures, et ce n’était pas nécessairement des bonnes heures d’étude. Donc c’est un danger non négligeable pour les gens qui étudient seuls(e)s.

Autre chose, lorsqu’on est avec un groupe, on ne perd pas de temps. Par exemple, si j’ai un problème à résoudre dans le livre, on me donne l’énoncé du problème et on me donne la réponse, mais on ne me donne pas la solution. Parfois, c’est assez facile, puis d’autres fois ce n’est pas évident; on ne sait pas trop par quel bout prendre le problème et on ne sait pas comment aborder le problème. On peut passer des heures à trouver un chemin logique pour se rendre à la réponse.

Si je suis avec un groupe ou une personne chargée de l’enseignement, c’est sûr qu’une personne va déjà avoir résolu le problème et qu’elle va pouvoir expliquer les étapes à suivre pour résoudre ce problème et surtout pourquoi on fait telle ou telle étape.Si vous êtes seul(e), parfois, vous ne savez simplement pas de quel pied partir, et ça ne sera pas évident. Autre chose, quand on est en groupe, on ne veut pas se retrouver derrière les autres. On doit garder le rythme. On ne veut pas se retrouver dans une situation dans laquelle on pense qu’on avance bien, mais qu’en réalité, on est 2-3 semaines derrière les autres.

Puis il y a autre chose aussi qui est encore plus important que tout ça : si j’étudie dans un programme d’actuariat agréé par l’Institut canadien des actuaires, qu’est-ce qu’il se passe? Bien, il suffit que j’obtienne mon diplôme, que je passe deux modules et un examen. Puis, je vais pouvoir devenir associé de l’Institut canadien des actuaires. Si je ne suis pas dans un programme d’actuariat, je dois passer par les examens des sociétés d’actuaires.

Je risque de me retrouver obligé de faire sept examens d’actuariat, étudier tout seul, avec en prime le risque de probablement essayer d’aller me chercher quand même quelques cours quelque part qui portent sur les matières qui sont assujetties de l’examen d’actuariat.

Puis, il y a un risque que ce cours soit offert à un certain moment puis que l’examen soit rédigé plus tard; ce qui m’oblige à réétudier les choses. Surtout dans les derniers examens d’associé de la SOA, il y a des choses qui ne sont pas nécessairement évidentes et que l’on risque d’être obligé d’étudier facilement deux fois.

Il y a une perte de temps assez incroyable de ce côté qu’on n’a pas quand on passe par le Programme d’agrément universitaire de l’Institut canadien des actuaires. Je dirais que c’est l’avantage numéro 1 d’être dans un programme d’actuariat par rapport à étudier par soi-même. C’est énorme comme différence.

Animatrice : Très intéressant, puis une dernière question pour clore cet entretien : En tant que chargé d’enseignement, de quelle façon êtes-vous en mesure de veiller à ce que le contenu de vos cours demeure à jour compte tenu des nouvelles avancées?

Gagnon : Encore une fois, une très bonne question. Et comme chargé de cours, tout comme les professeurs d’université, on doit s’assurer que ce que l’on enseigne est à jour. Donc ça veut dire différentes choses.

On doit faire de la recherche, évidemment, et dans le cas de la science actuarielle appliquée, le premier endroit à regarder pour trouver des développements récents est le site Web de l’Institut canadien des actuaires. On y trouve des documents de recherche, des notes éducatives et des présentations assez récentes de l’Institut qui ont été rédigés conformément aux assemblées générales.

Dans le cas des assemblées générales de l’ICA (si ma mémoire est fidèle) : les non-membres peuvent accéder aux présentations six mois après l’assemblée, ce qui est quand même un délai, quant à moi, très court. Évidemment en tant que membre, j’ai accès au contenu tout de suite.

Et en tant que membre de l’Institut, surtout en tant que membre ayant participé à l’Assemblée générale annuelle (parce que je participe toujours aux assemblées générales annuelles), il y a tellement d’informations qu’on peut obtenir lors de cette assemblée; c’est une mine d’or d’informations. Si quelque chose est vraiment important, c’est certain que ça va être discuté à l’Assemblée générale annuelle de l’Institut canadien des actuaires. Le matériel lié à ce sujet – comme des diapos – et le contenu seront disponibles sur le site Web de l’Institut.

En plus de cela, on va connaître le nom des présentateurs, forcément. Puis ces gens, pour avoir fait la présentation, ont sûrement une très bonne connaissance de leur sujet.

Alors, on peut très bien aller sur Internet et effectuer une recherche sur Google pour trouver le nom de la personne qui a fait la présentation et, en même temps (évidemment), le titre du sujet ou le sujet de la présentation. On aura peut-être une chance sur deux de tomber sur un document de recherche d’une analyse qui a été rédigée par la personne qui a fait la présentation. C’est assez intéressant.

Une autre source d’information est la recherche qui est faite par la SOA, la CAS et les autres organisations actuarielles, même les organisations internationales comme l’IFoA au Royaume-Uni. J’ai vu récemment une source très intéressante, et je crois qu’elle venait de l’Australie.

Une autre source à laquelle on ne pense pas est les nouvelles. Si quelque chose d’important se produit, évidemment, ce sera annoncé dans les nouvelles. Par exemple, il y a un mois, le mauvais rendement de la Caisse de dépôt et placement du Québec a fait la manchette. Et la conséquence de ce mauvais rendement peut être éventuellement une hausse de nos cotisations au Régime de rentes du Québec.

Si on se rappelle que pendant la crise du papier commercial toxique en 2008, le taux de rendement sur les actifs du Régime de rentes du Québec a été de moins 26 %, alors que le taux de rendement sur les actifs du Régime de pensions du Canada, qui est une copie quasiment conforme du RRQ, était de moins 18,6 % pour exactement la même période. On parle d’une différence de 7,5 % qui n’a pas été rattrapée dans les années suivantes.

Puis n’oubliez pas que si je fais un rendement négatif de 9 %, bien pour le rattraper, ça va me prendre 10 % de rendement négatif. Si je fais un rendement négatif de 25 %, ça va me prendre 33 % pour revenir où j’étais. Donc c’est une des raisons pour lesquelles notre cotisation RRQ est plus élevée qu’au Régime de pensions du Canada, même si ces deux régimes donnent exactement la même chose.

Autre chose, les rapports actuariels qui sont disponibles sur Internet. D’abord, on peut trouver des rapports du Régime de rentes du Québec, du Régime de pensions du Canada, de l’assurance-emploi, de Pension de sécurité de la vieillesse, et on peut y trouver des rapports actuariels de gros régimes de retraite publics ou de grosses organisations.

Et dans tous ces rapports actuariels, il y a un tas d’hypothèses actuarielles qui sont documentées et justifiées. Ça peut être assez intéressant de voir, dans des rapports récents, comment les actuaires voient telle ou telle situation, telle ou telle évolution du taux d’inflation, des taux d’intérêt, et ainsi de suite.

Et plus généralement Internet en général, et une très belle source de renseignements. C’est incroyable tout ce que l’on peut trouver sur le Web. Malheureusement, ce que l’on trouve dépend de notre recherche.

Un exemple : ma conjointe et moi cherchons souvent la même chose, mais arrivons à des résultats très différents sur le Web; soit que l’on n’utilise pas les mêmes mots-clés, soit qu’on cherche différemment. Et chose très importante, quel que soit ce que l’on recherche et que l’on trouve, on doit toujours passer le résultat au crible de notre jugement pour 1) s’assurer que ça a de l’allure, mais surtout 2) s’assurer que l’on comprend ce qu’on a trouvé.

Donc, Internet est fantastique. C’est quelque chose que l’on n’avait pas quand je suis sorti de l’université il y a un peu plus de 40 ans, presque 43 ans maintenant. On n’avait pas ça. Maintenant, c’est fantastique.

Animatrice : Excellent. Eh bien, nous avons abordé plusieurs sujets aujourd’hui. Merci encore, Bruno, d’avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd’hui.

Gagnon : Tout le plaisir a été pour moi.

Animatrice : Alors cher auditoire, c’est ce qui met fin à l’épisode d’aujourd’hui. Si vous avez aimé cette entrevue, n’oubliez pas de vous abonner pour ne pas manquer les épisodes à venir.

D’ailleurs, vous pouvez écouter le balado sur le blogue de l’ICA, Voir au-delà du risque, et nous écrire à balados@cia-ica.ca. Nous aimons toujours lire vos commentaires et vos idées.

Merci beaucoup d’avoir écouté Voir au-delà du risque. À la prochaine!

Cette transcription a été révisée par souci de clarté.

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