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Le silence de nos amis et amies

Par Jelitza Phillips, future membre AICA

Je me souviens encore de la pause mentale que j’ai faite, dans le cadre du processus d’intégration de mon premier emploi au Canada, lorsque je suis arrivée à la question « Vous identifiez-vous comme une personne appartenant à une minorité visible? ». C’était il y a cinq ans. Auparavant, je n’avais jamais eu besoin de me demander si je faisais partie d’une minorité visible ni d’énoncer de manière explicite mon origine ethnique ou culturelle. J’ai grandi en Jamaïque, une île tropicale des Caraïbes où plus de 90 % de la population est noire ou de descendance africaine. Arrivée au Canada à l’âge adulte, il m’a fallu peu de temps pour me rendre compte que j’avais tenu pour acquis toute ma vie le fait d’être noire. J’avais sous-estimé le privilège de pouvoir vivre, circuler et travailler librement sans être jugée à cause de la couleur de ma peau.

Pour être honnête, à l’époque, je n’accordais pas non plus beaucoup de valeur au Mois de l’histoire des Noirs. De mon point de vue d’adolescente jamaïcaine vivant en Jamaïque, il s’agissait d’un concept américain trop éloigné de l’histoire caribéenne ou antillaise pour que je m’y intéresse vraiment. Pour une raison quelconque, l’esclavage, le colonialisme, l’inégalité sociale et d’autres éléments importants de l’histoire des Caraïbes m’interpellaient davantage que les luttes pour les droits de la personne et la ségrégation raciale pure et simple.

« Au cours des dernières années, j’en suis venue à respecter la signification, le message du Mois de l’histoire des Noirs et les motifs qui le sous-tendent. Au fil de ma vie au Canada, j’ai appris à mieux apprécier la reconnaissance de l’histoire des Noirs, ici et ailleurs dans le monde. »

Bien des gens, dont moi, le considèrent comme une célébration. Mais plus encore, c’est un moment de réflexion. Il ne s’agit pas seulement de soutenir les entreprises appartenant à des Noirs, mais aussi de comprendre les difficultés auxquelles ceux-ci se sont butés pour les démarrer et les tenir ouvertes. Ce mois nous donne l’occasion de mettre en lumière l’excellence noire, mais aussi de comprendre toute la persévérance qu’il a fallu pour atteindre la réussite. Mais ce qui m’importe avant tout pendant le Mois de l’histoire des Noirs et au-delà, c’est la conversation franche et l’apprentissage permanent, tant au sein de la communauté noire qu’entre les Noirs et les personnes d’autres races et ethnies. 

Martin Luther King Jr a dit : « À la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis, mais du silence de nos amis. » Ces mots ont été prononcés dans le contexte de l’incapacité des Américains à s’opposer à la discrimination dont étaient victimes les Noirs et au bafouement de leurs droits humains. Aujourd’hui, cette citation me parle plus que jamais et traduit bien les nombreux sentiments que j’éprouve lorsque je réfléchis aux préjudices que moi et mon peuple avons subis et continuons à subir simplement en raison de notre race.

Récemment, j’ai réfléchi aux diverses organisations influentes auxquelles je suis associée. Je suis membre de l’Église adventiste mondiale du septième jour; au cours des quatre dernières années, j’ai été abonnée à trois différents gyms affiliés à CrossFit; et la compagnie d’assurance pour laquelle je travaille appartient à l’une des plus grandes banques du monde. Je suis également associée de la Society of Actuaries (ASA) et bientôt, de l’Institut canadien des actuaires (AICA); je suis membre de la filiale torontoise de l’International Association of Black Actuaries (IABA); et, techniquement, je fais aussi partie d’une association mondiale invisible d’actuaires (car qui ne ressent pas une affinité et une fébrilité instantanées à la rencontre d’un ou d’une autre actuaire ailleurs dans le monde?).

Ces organisations ont toutes une chose en commun : le sentiment d’appartenance à une communauté. Dans ce contexte, la communauté désigne un groupe de personnes qui partagent des intérêts semblables et qui ont le désir d’accomplir quelque chose ensemble. Une communauté est un lieu où l’on trouve associés et collègues. Une communauté est un lieu où l’on trouve des amis. Alors que se passe-t-il lorsque nos amis ne nous ressemblent pas du tout? La diversité? Oui. L’inclusion et l’équité? Ça dépend.

C’est compliqué, car il est impossible de changer le passé. C’est du passé, ça appartient à l’histoire. Mais l’histoire, qui façonne notre façon actuelle de vivre et de penser, devient très utile lorsqu’on la comprend bien. Pourquoi, alors, y a-t-il si peu de collègues et d’associés (« amis ») des Noirs qui cherchent à comprendre leur histoire et leurs expériences? Peut-être que certains estiment qu’il vaut mieux éviter complètement la délicate question de la race. Mais s’il y a une chose qui peut aggraver la situation, c’est bien le silence, en particulier celui des personnes que nous considérons comme nos amis. Je m’empresserais de profiter du Mois de l’histoire des Noirs pour briser le silence.

Le fait de parler des expériences et des émotions brutes permettra non seulement d’élargir les perspectives et d’éclairer les décisions, mais aussi d’approfondir la compréhension, notamment entre races. Concrètement, les gens seraient plus nombreux à comprendre la joie et la fierté qu’ont ressenties les Noirs du monde entier lors de l’élection de Barack Obama comme 44e président américain et leur douleur et leur angoisse lors du meurtre de George Floyd. Ce sont des hommes que nous n’avions pour la plupart jamais rencontrés, mais qui incarnaient une partie de nous-mêmes et de nos familles. Vous seriez en mesure de comprendre pourquoi l’élection de John Robinson et de Roosevelt Mosley à titre de premiers présidents noirs de la Society of Actuaries (SOA) et de la Casualty Actuarial Society (CAS) respectivement pour l’année 2022-2023 a été un événement si marquant.

Plus près de vous, vous pourriez comprendre pourquoi, au travail, vous vous trouvez naturellement privilégié par rapport à votre collègue noir.

« Ce genre de conversation inspire à briser le silence ailleurs, pour défendre, favoriser et soutenir les efforts visant l’équité et l’inclusion des personnes noires. »

Je dois dire que je suis assez fière des progrès que nous avons réalisés au fil des ans pour mieux faire entendre les actuaires et futurs actuaires noirs au sein de la profession, avec un soutien et des liens accrus entre l’IABA, la SOA et l’ICA. La visibilité et la promotion des actuaires noirs ont considérablement augmenté au cours des dernières années et, à mesure que les démarches se poursuivent et s’étendent, il vaut la peine de reconnaître les progrès réalisés.

Cette année, pendant le mois de février, de nombreuses organisations, y compris mon employeur, ont invité d’éminentes personnalités noires à présenter des exposés et à participer à des discussions de leur point de vue particulier dans le but de susciter l’inspiration et de balayer les préjugés. Ici, au Canada, l’ICA et l’IABA se sont associés dans le cadre d’une soirée à Toronto où la nourriture, la culture et les rencontres étaient au programme. Dans l’espace virtuel, la SOA présente une série de conversations authentiques avec des actuaires et des étudiants noirs.

Assistez à ces activités et soutenez-les en gardant l’esprit ouvert et écoutez attentivement. Regardez des films et lisez des livres qui mettent en lumière les différents chapitres de l’histoire des Noirs. Mais lorsque le mois de février sera terminé, ne restez pas silencieux. Je vous invite, mes amis, à entretenir des conversations avec les personnes noires de votre organisation et de votre communauté au sujet de leur expérience actuelle et des effets qu’ont sur elles encore aujourd’hui les stéréotypes et les attentes réductrices. Ensuite, amplifiez les leçons tirées de ces conversations grâce à vos paroles et à vos actions.

Et si vous craignez que le fait de vous exprimer fasse plus de tort que de bien, rappelez-vous que ce ne sont pas toujours les actions cruelles des gens qui perdurent. Il y a aussi ce que les bonnes personnes omettent de faire. Les attaques ouvertes de nos ennemis nous blessent, mais nous sommes encore plus profondément touchés par la trahison qui se dissimule dans le silence de nos amis. 

Cet article présente l’opinion de son autrice et ne constitue pas un énoncé officiel de l’ICA.

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