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Le travail actuariel dans le domaine de l’indemnisation des accidents du travail (2e partie)

En quoi consiste le travail actuariel dans le domaine de l’indemnisation des accidents du travail? Dans cette 2e partie de notre entretien avec Julie Bélanger, FICA et actuaire à la CNESST, nous plongeons dans les tendances du domaine de la santé et la sécurité au travail (du côté de la tarification et des réclamations), discutons de l’impact des dernières années de pandémie et de la norme IFRS 17, et bien plus encore.

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Ayotte : Bonjour à tous et à toutes et bienvenue à Voir au-delà du risque, le balado de l’Institut canadien des Actuaires. Je suis Maude Ayotte, membre de l’équipe des communications au siège social de l’ICA.

Au cours de notre dernier épisode du balado en deux parties, nous sommes entretenus avec Julie Bélanger, FSA et FICA, qui est actuaire à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, ou si on préfère la CNESST, et avons discuté de son expérience dans le domaine de l’indemnisation des accidents du travail.

Aujourd’hui, dans le cadre de cette deuxième partie, on l’accueille à nouveau pour plonger dans le vif du sujet. Rebonjour Julie, merci de te joindre au balado.

Bélanger : Bonjour Maude, ça fait plaisir.

Ayotte : Alors, est-ce que tu peux nous expliquer comment fonctionne la tarification d’assurance dans le domaine de l’indemnisation des lésions professionnelles?

Bélanger : Oui, la tarification de l’assurance est financée à 100% par les employeurs, donc les employeurs sont obligés de s’inscrire à la Commission et ils payent l’entièreté des primes d’assurance pour couvrir les frais du régime.

Quand on fait la tarification, notre premier objectif, en fait, c’est l’équité entre les employeurs. Donc, on essaie de répartir le plus équitablement possible cette grosse facture d’assurance. On essaie aussi de favoriser la prévention des lésions professionnelles et d’inciter les employeurs à faire un retour au travail des travailleurs qui ont été blessés le plus rapidement possible pour réduire, dans le fond, le coût du régime.

Au Québec, on a trois modes de tarification qui sont basés sur le risque. En premier lieu, c’est le risque des activités. Ce qu’on fait, c’est qu’on classe chacun des employeurs en fonction des activités qui sont exercées dans son entreprise et on établit des taux de cotisation pour chacune de ces activités.

On a plus de 170 unités de classification différentes dans le fond pour chacune des activités qui peuvent être exercées. On établit un taux pour chacune de ces activités et les employeurs sont classés dans les activités. Pour les employeurs qui sont un petit peu plus gros, on peut aussi tenir compte de leur expérience individuelle en termes de lésion professionnelle. Donc, on va personnaliser le taux de l’unité qu’on établit juste sur le risque des activités en fonction de ce qu’on a observé dans leur dossier dans les années précédentes.

Donc, on a une période de référence qu’on appelle de quatre ans. On va aller voir dans le passé de l’employeur des quatre dernières années s’il y a eu des accidents et ça va permettre de moduler à la hausse ou à la baisse le taux de son unité de classification.

Donc lui permettre d’avoir un rabais s’il n’a pas eu d’accident ou d’avoir une surprime s’il y a eu plus d’accidents que la moyenne ou plus de coûts que la moyenne des autres employeurs qui exercent les mêmes activités. Dans le fond, c’est notre façon d’inciter les employeurs à faire de la prévention et à réduire les coûts en leur donnant des crédits, si ça se passe bien dans leur entreprise.

La hauteur du rabais ou de la surprime va dépendre de la taille de l’employeur. Donc c’est sûr que si c’est un employeur qui n’est pas très gros, on ne croira pas que son expérience est très crédible alors on va donner un petit rabais ou charger une petite surprime. Et si l’employeur est de plus grande taille, on va pouvoir plus tenir compte de son expérience.

On a aussi un autre régime qu’on est encore les seuls à avoir au Canada, un régime rétrospectif qui va venir pour les très gros employeurs. On va faire la correction de l’expérience en regardant le passé, comment s’est comporté son année d’accident, puis en faisant un crédit ou un débit sur l’année. On va regarder l’évolution des lésions pendant quatre ans et si ça s’est mal passé par rapport à ce qu’on avait comme risque prévu pour l’année, ben on va lui charger une surprime, mais rétrospectivement.

Alors que pour le taux personnalisé, on se base sur le passé pour établir la cotisation de l’année, mais on ne touche pas à cette cotisation-là ensuite, dépendamment de ce qui s’est passé dans l’année. Donc avec un taux personnalisé en 2023, si on paye une cotisation de 25 000 $, on n’ira pas toucher à cette cotisation pour voir s’il y a eu ce coût-là ou non qui s’est produit dans son entreprise.

C’est l’année suivante qu’on va venir regarder les accidents de l’année 2023 pour faire le nouveau taux, alors que pour la tarification en mode rétrospectif, on va venir vraiment à regarder ce qui s’est passé dans l’année pour charger sa cotisation en fonction du vrai coût des lésions.

Ayotte : En lien avec cette question, quelle tendance dans la santé et la sécurité au travail pourrait nécessiter de créer ou développer des modèles de risques, si on pense à la tarification et la réclamation, qui serait plus sophistiquée?

Bélanger : C’est sûr qu’en octobre 2021, la loi modernisant le régime de santé et sécurité du travail a été sanctionnée. Donc, il y a eu des modifications au régime pour tenir compte des nouvelles tendances; on va voir un élargissement des mécanismes de prévention, il va y avoir une reconnaissance plus facile des risques psychosociaux au travail, une nouvelle approche dans le règlement des litiges, on va peut-être développer des incitatifs financiers à la prévention. Donc tout ça nous nous amène à travailler sur des modèles pas nécessairement pour la tarification comme pour aider la Commission à faire face aux nouvelles façons de faire, à développer de nouvelles pratiques. Donc on aide nos collègues à ça.

On va aussi développer un peu de modélisation prédictive pour faire la validation dans nos données, de valider la classification des réclamations, si elles sont imputées dans les bonnes unités de classification, donc faire des trucs comme ça qui vont nous permettre de tenir compte de ce qui se passe, puis de mettre à profit dans le fond les nouvelles méthodes qui se développent, notamment en modélisation prédictive.

Ayotte : Revenons sur les dernières années de pandémie, quels sont les plus grands impacts que tu as constatés sur les risques?

Bélanger : Au niveau de la pandémie, c’est sûr que ça a vraiment changé le portrait des lésions professionnelles des trois dernières années, 2020, 2021, 2022. Il y a eu énormément de lésions reliées à la COVID. C’est sûr que quand la COVID était contractée au travail, c’était considéré comme un accident de travail. Donc, on a eu vraiment beaucoup de lésions professionnelles en lien avec cette maladie, notamment dans le secteur des soins de santé, surtout dans l’année 2020, dans les hôpitaux, dans les centres d’hébergement de soins de longue durée, dans les maisons de retraite.

Ça a vraiment changé notre portrait des lésions professionnelles parce qu’en même temps, en 2020, il y a eu la fermeture de l’économie qui a fait qu’il y a eu un gros ralentissement dans les accidents de travail des autres secteurs puisqu’il y avait beaucoup de gens qui travaillaient plus. Et ceux qui étaient en télétravail se trouvaient avoir moins d’accidents que ce qu’on voyait par le passé, même si ça pouvait dans des secteurs déjà moins risqués. Donc, ça a vraiment changé le portrait des lésions et ça a continué jusqu’en 2022 parce qu’il y a eu des vagues successives et des changements dans les variants.

Et il faut dire aussi qu’il y a une politique d’assouplissement pour accepter les lésions professionnelles en lien avec la COVID-19. On déterminait par défaut que s’il y en avait eu dans le milieu de travail, mais que la personne qui fait une réclamation, c’était normalement en lien avec son travail. Ça vient de se terminer cet assouplissement au 1er mars 2023. Donc, on va revenir au cadre habituel où ça prend une attestation médicale qui indique que ça a été un accident de travail qui a causé la réclamation.

On a eu une pression sur le programme Pour une maternité sans danger parce qu’avec la fermeture de l’économie, puis avec les risques de COVID-19, il y a eu des retraits préventifs qui se sont fait beaucoup plus facilement aussi que par le passé. Ça a été surtout ressenti en 2020.

Maintenant, il y a depuis un moment un retour en la normale. Ce qu’on va voir qui va rester dans le futur, c’est le télétravail, qui fait qu’on voit moins d’accidents de certains types dans les bureaux par exemple. Il y a des choses qui vont rester de cette pandémie.

Ayotte : Quelles réformes récentes ont eu un impact significatif dans ton travail? Notamment, comment l’IFRS 17 s’intègre dans tes travaux?

Bélanger : Je ne voyais pas les différences, beaucoup d’IFRS 17 au niveau de la tarification, mais c’est sûr que la CNESST est considérée comme une compagnie d’assurance, donc doit produire des états financiers conformes à la norme IFRS 17. Donc ce sont mes collègues du côté des évaluations actuarielles qui doivent produire des évaluations qui sont conformes à cette norme. Cependant, au niveau du financement du régime, ça ne viendra pas changer nos façons de faire, donc on va continuer à être sur la base des meilleures estimations.

Quand on fait les hypothèses d’évaluation, on ne cherche pas à avoir des marges pour écarts défavorables parce qu’on veut vraiment avoir une équité entre les générations d’employeurs, donc on ne veut pas aller chercher plus que nécessaire. On essaie d’aller financer au mieux de ce qu’on pense qui va se produire dans le futur.

Puis si on a des écarts, évidemment, il y a toujours des écarts par rapport à ce qu’on a prévu, on a une politique de capitalisation qui permet de retourner les surplus ou d’aller chercher les déficits sur un horizon raisonnable. Ce qui fait que vraiment le plus possible, on a ce que les emplois qui sont ouverts aujourd’hui payent pour les lésions qui surviennent en 2023 et ne sont pas en train de financer le passé ou le futur. Ça va nécessiter de continuer à faire des évaluations comme on faisait dans le passé, tout en faisant d’autres pour les états financiers qui vont être conformes à la norme IFRS 17.

Ayotte : Quelle est ta vision pour l’avenir dans ton domaine de pratique, par exemple en ce qui touche les réformes ou les problématiques d’évaluation des risques de santé et sécurité au travail?

Bélanger : C’est sûr qu’on est en train de revoir un peu nos modes de tarification, dans le sens ou on compare à ce qui ce qui se fait dans les autres juridictions, soit au Canada, soit aux États-Unis ou même ailleurs dans le monde, pour voir s’il y a des tendances qui sont émergentes.

Nos modes de tarification existent depuis 20 ans, donc on regarde s’il n’y a pas des actualisations qui seraient offertes par rapport à ça. On n’a pas, par contre, de problèmes qui ont été rapportés par les employeurs comme tels. C’est plus nous autres qui essayons de voir si on est encore au goût du jour avec nos modes de tarification. On va suivre aussi les effets de la modernisation du régime.

Il y a une modernisation qui entraîne de nouveaux éléments qui vont entrer en ligne de compte comme les risques psychosociaux, les incitatifs financiers, donc ça va être des choses qu’on va pouvoir regarder comment ça s’intègre en nos modèles. On va suivre les effets de la pandémie, si ça continue à se poursuivre. Normalement avec le retour au corps normatif pour l’admissibilité des lésions professionnelles depuis le 1er mars, on devrait avoir une diminution des nombres de lésions COVID. On va voir si les autres lésions professionnelles, comment ça se comporte pour les lésions actuelles dans les secteurs d’activité qui sont pour la santé.

On est en train aussi de revoir la politique de capitalisation avec nos partenaires. Ça aussi c’est une politique quand même qui date de plusieurs années pour voir s’il y a des choses qui sont à actualiser, puis s’il faut aussi tenir compte de l’IFRS 17 dans notre police de capitalisation. Ce sont des éléments qu’il faut regarder, puis on a un autre élément qu’on suit beaucoup, c’est les décisions des tribunaux administratifs en matière d’imputation.

Puisqu’on se base sur les lésions professionnelles qui sont survenues chez les employeurs pour faire la tarification, il faut que les lésions professionnelles soient rattachées à un employeur. On a des dispositions dans la loi qui font en sorte que les employeurs peuvent demander que des lésions soient en partie retirées de leur dossier.

Les tribunaux administratifs au Québec ne sont pas liés par les politiques administratives que la CNESST a, donc il faut suivre les tendances des tribunaux pour voir s’il y a des choses à ajuster par rapport à ces décisions-là pour que nos modes de tarification soient le plus juste possible, puis que ce qu’on appelle les coûts qui sont non imputés à un employeur soient réparti le plus équitable possible.

Ayotte : Et pour clore cet entretien, aurais-tu un mot de la fin?

Bélanger : Je trouve que je travaille dans un domaine de pratique qui est passionnant, aux premières loges de ce qui se passe au niveau du travail, puis qui amène à collaborer avec des intervenants de plusieurs horizons différents afin de faire progresser la prévention des risques de lésion professionnelle. Donc, je suis très contente de travailler pour la CNESST.

Ayotte : Encore une fois, un gros merci Julie d’avoir pris le temps de discuter avec nous aujourd’hui.

Bélanger : Ça me fait plaisir, merci, Maude.

Ayotte : Vous avez manqué la première partie de cet entretien? Consultez le blogue Voir au-delà du risque ou toute de plateformes sur lesquelles vous pouvez écouter les balados. Si la conversation d’aujourd’hui vous a plu, allez vous abonner à notre série balado pour vous rattraper et écouter les épisodes que vous avez peut-être manqués au cours des derniers mois.

Je m’appelle Maude Ayotte et je vous remercie d’avoir écouté Voir au-delà du risque. À la prochaine!

Cette transcription a été révisée par souci de clarté.

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